Kévin Huber

vu par

Elise Girardot

Voyage en ventriloquie

Kévin Huber appartient à une catégorie d’artistes inclassable. Il navigue constamment du théâtre à la performance, du dessin à l’écriture. Sa pensée s’articule à la croisée de ces mondes qui fusionnent parfois. À chaque performance, Kévin Huber semble devenir lui-même encore davantage. Les usages sont simples et sans artifices : peu de costumes, peu d’éléments techniques, peu de décors. En toile de fond, un vocabulaire précis : celui des sitcoms low-cost ou des chaînes d’information en continu. On ignore s’il faut rire, pleurer, s’indigner, et Kévin Huber ne nous donnera guère d’indices à ce sujet-là. Ses références sont plutôt inattendues, il puise tantôt dans l’exiguïté des discours standardisés de l’info-divertissement, des small talks, des teen movies, des dramaturgies saugrenues et dérisoires de la télé-réalité ou des télé-crochets, tantôt dans le charme quotidien des brèves de comptoirs, ces courtes interactions survenues au tabac-presse, à la piscine municipale ou à l’épicerie de quartier. Soudain, au cœur du récit, surgit une allusion cinglante aux violences domestiques ou policières. On ne s’y attendait pas. Kévin Huber manie avec aisance plusieurs registres de parole. Il bifurque, et par un hochement de tête ou un simple changement de voix, endosse tour à tour le rôle de Samantha, Hugo ou Hermione. Certains prénoms font allusion à des amis, collègues, connaissances, ou à notre personnage favori de la saga Harry Potter. Sans distinction, il fait co-exister ces figures à l’unisson, pour créer des fictions débridées, déroutantes, dénuées de repères et qui débordent sans cesse de la trame narrative. Kévin Huber est un ventriloque du récit. Il laisse très peu de place à l’improvisation : chaque texte est minutieusement écrit, voire ré-écrit plusieurs années après une première base. On retrouve cette minutie et ce goût du détail à travers ses dessins qui l’accompagnent depuis toujours. Les personnages présents dans ses performances, comme les stars d’Hollywood ou les personnalités politiques controversées, ont ici disparu au profit de silhouettes anonymes et de banales scènes de vacances. Une douce tranquillité transparait aussi à travers les titres choisis : Les temps heureux ou Je t’emmène près d’une forêt. Les dessins au stylo bille évoquent le souvenir adolescent des croquis gribouillés sur les carreaux bleu-clairs des copies-doubles d’une dissertation collégienne. Des peintures complètent la pratique du dessin : captures, instants de paysage. Nulle frivolité. Il manipule les matériaux ordinaires, comme pour les objets de ses performances réalisés à partir de morceaux de carton et de fil de pêche. Kévin retourne alors vers le petit écran. Il invente des généalogies, des conflits ou des romances improbables. Kim Jong-un rencontre Donald Trump qui vient de commencer un traitement pour changer de sexe et devenir Marguerite. Cette dernière se dispute avec sa mère Madonna : « Madonna reste sans voix, demande à son fils de quitter la maison. Donald Trump a brisé l’éducation parentale. Toutes les attentes de sa mère en matière de virilité ont volé en éclat. Donald Trump se retrouve à la rue. Il devait reprendre l’entreprise de son père, devenir un homme riche, fort, et faire perdurer le prestige de la famille Preston. »

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