Aude Anquetil

vue par

David Evrard

« Il n’y a rien de plus vrai qu’une fiction »

L’ensemble des œuvres d’Aude Anquetil est une somme d’indices constituant la trame de son texte/œuvre/travail, une intrigue à tiroirs où les choses s’enchâssent sans pour autant qu’il n’y ait d’histoire secondaire. Evidemment, on se fout de savoir si ce texte est « vrai », « réel » ou « fictif ». Mieux, comme pourrait le dire Aude : « Il n’y a rien de plus vrai qu’une fiction ». Rien de plus « vrai » qu’une panoplie de sensations, d’idées, d’expériences, de participations, d’apparitions et de caches, rien de plus vrai que la constitution d’un ensemble de poids, comme on pourrait le dire du poids d’un personnage autant que de la traction exercée par un corps, un régime de pesanteurs aussi variées qu’une gamme de parfums, d’épices, de sueurs, de miels, de pétrichor noyé d’aulx, de trames brouillées, d’envolées, qui au drame est ce que le grave est à l’intrigue, qui à la terre est ce que les larmes sont à la rosée.Un théâtre où plusieurs scènes se jouent en même temps.

Le goût pour l’essence est une des manifestations « plastiques » les plus évidentes dans l’œuvre d’Aude Anquetil, le résultat d’un travail de distillation, de recherches, d’ingrédients, d’images, de compositions, de gestes, d’habits qui organisent un travail où l’œuvre se confond dans l’auteure. Comme dirait Google : « L’essence désigne ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est, indépendamment de ce qui lui arrive sans modifier fondamentalement sa nature » ni, pourrait-on ajouter, la matérialisation de ses effets.

Le travail d’Aude est un texte et ce texte est celui d’un roman. Ce roman, toujours immature, toujours en en écriture, est de caractère épistolaire. Les œuvres qui en jaillissent sont généralement adressées. J’ai choisi le gris parce que c’est la couleur de tes cheveux {note}1 est pour quelqu’un qui existe dans l’univers d’Aude Anquetil. Swan at East Coral Gable {note}2 est une des peintures abandonnées dans un motel lors d’un voyage en Floride et destinées au client inconnu qui va suivre. De la même manière que le restaurant A Casa Mia, rue de Flandres à Bruxelles, où Aude a travaillé comme serveuse, n’est plus la spaghetteria que nous connaissions mais le lieu d’une fiction {note}3, un lieu où il s’est passé quelque chose, quelque chose qui n’est pas directement palpable, qui dépasse de loin la qualité de ce qu’on y fait, de ce qu’on y sert, quelque chose qui sourd de tout l’espace, la sensation que là, quelque chose s’est produit.

Ce travail est monstrueusement séduisant, nous séduit comme un monstre pourrait nous séduire, aiguisé, vicieux et naïf, aussi plein, juste et authentique que fragile, fantastique, tenant du prodige, aussi beau, délicat, lumineux que pétri de brume, de complexes et de nœuds, testant sa propre capacité à nous faire sentir, à nous faire suer. Et cette sueur, qui est la réclame de son travail, est autant celle de l’excitation que du labeur, celle du chaud que celle de la peur. Parce que Aude ne présente pas son travail comme seul spectacle, parce que les éléments qui ont été mis en place ces six ou sept dernières années ne sont pas qu’un éventail de situations, d’éléments référant à {note}4, mais le lieu d’une adresse qui attend une putain de réponse.

Le menu du restaurant où maintenant nous sommes seuls comprend des choses telles que poil, fraise, ongles, vapeurs. Et en dessert vous aviez pris quoi ? Il y a des choses qui ne sont pas sur la carte. C’est ça que l’artiste nous dit : « Il y a des choses qui ne sont pas sur la carte ».

1Peinture cathartique, huile sur toile, huile sur carton, chaine dorée, 2 doigts, 100x40 cm

2Curtains at Key Lantern ou Swan at East Coral Gable, par exemple, sont des huiles de petits formats abandonnées sur les tables de chevets de motels étasuniens en 2017 dont aujourd’hui il ne reste, comme récit, que la trace photographique.

3A Casa Mia ou La pensée de derrière est le titre du deuxième roman d’Aude Anquetil, paru en 2018

4A Casa Mia, installation, néon rose, dimensions variables

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